Après avoir élagué et déraciné la forêt pour cultiver ou pour éloigner les prédateurs de son jardin, on la replante pour l’associer aux cultures. Zoom sur une nouvelle vague.

Moudre de la farine de glands ou préparer une salade de feuilles de tilleul, ce sont des plaisirs que peut offrir une forêt-jardin (ou un jardin-forêt) aux descendants des chasseurs-cueilleurs que nous sommes qui avons tout oublié de la générosité des arbres. Grâce à une bible que vient de consacrer le Britannique Martin Crawford à ce sujet, il n’est pas trop tard pour en réapprendre les bases.

Après nous avoir séduit avec les mixed borders – ces jardins de vivaces aux airs faussement sauvages –, et récemment avec la permaculture (permanent agriculture), les Britanniques invitent cette fois à transformer le plus petit jardin des climats tempérés en forêt nourricière. « Dans l’évolution des jardins, la forêt reprend sa place, l’agroforesterie, c’est une tendance forte », constate Sylvie Ligny, cofondatrice de Garden_Lab, une jeune revue qui observe les tendances végétales d’aujourd’hui et de demain. « En Europe, notre milieu naturel, ce n’est ni le pré, ni le champ, c’est la forêt. Si on laisse pousser la végétation, c’est une forêt qui pousse. L’agroforesterie, c’est d’abord du jardinage en forêt et non une forêt que l’on déboise pour planter. » Au cours de ses voyages, cette globe-trotteuse a pu observer ce mode de culture associant différentes espèces, sous les tropiques, dans les jardins créoles et plus, près de chez nous…, en Belgique, au Jardin des fraternités ouvrières de Mouscron. Créé il y a 35 ans, sur 2 000 mètres carrés, ce jardin-forêt au rendement étonnant fait partie des pionniers.

Les bons mariages de plantes comestibles

Car, oui, nos climats tempérés se prêtent bien à ce mode de culture. C’est ce que cherche à démontrer La Forêt-jardin, signée du Britannique Martin Crawford, qui vient de paraître aux éditions Ulmer. Dans cet ouvrage sous-titré « Créer une forêt comestible en permaculture pour retrouver autonomie et abondance », son auteur, directeur de l’Agroforestery Research Trust, s’est largement inspiré des préceptes de son compatriote Robert Hart, le pionnier du jardin forestier cultivé en climat tempéré, pour planter sa propre forêt jardinée, chez lui, dans le Devon. Et la lecture de ce livre foisonnant de conseils et au répertoire de cinq cents végétaux, guidera les débutants dans les bons mariages de plantes comestibles pour optimiser l’espace.

Dans leur ferme du Bec Hellouin, dans l’Eure, Charles Hervé-Gruyer (qui cosigne la préface du livre) et son épouse Perrine expérimentent eux aussi depuis deux ans le principe jardin forestier, ils en cultivent même trois, de plus ou moins grande superficie. Et ils n’ont pas à se plaindre de la générosité de ces édens nourriciers, plantés sous le couvert d’arbres ou de grands arbustes étagés, de plantes grimpantes ou rampantes, à la densité équilibrée et optimisée comme dans un sous-bois, et qui rend la cueillette accessible.

Dans le troisième numéro de Garden_Lab, consacré à l’ombre et à la lumière, le botaniste Patrick Blanc, qui n’en finit pas d’explorer les forêts tropicales, partage ses passionnantes observations. Il indique ainsi que « l’ombre est un milieu extraordinaire où il n’y a pas de compétition. Au contraire, il y a une place pour tout le monde, pour chaque végétal. Chacun prend sa place sans gaspillage d’énergie, contrairement aux plantes en pleine lumière. »

Imiter la nature, jouer de l’ombre et la lumière, ombrager plutôt que raser, voilà le défi à relever, pour un jour se nourrir de nos jardins, sans avoir eu – et n’est-ce pas un atout majeur ? – à fournir d’efforts démesurés.

PAR MARIE-CHRISTINE MOROSI

La Forêt-jardin, de Martin Crawford (Ulmer).